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mardi 8 février 2011

Djerba Rapports à l’environnement

 Il est intéressant de se pencher sur le rapport qu’avaient les Djerbiens avec leur environnement avant l’essor touristique et le revirement que vit l’île de nos jours.

Les centaines de milliers de palmiers de l’île représentent un élément très important pour les Djerbiens qui en utilisent toutes les parties163,164 : les palmes sont utilisées pour la vannerie165 et les barrières des pêcheries fixes166. La partie supérieure de celles-ci est aussi utilisée comme balai167. La partie dure des palmes vertes est utilisée pour fabriquer un jeu de société appelé sigue168. On utilise cette partie également pour la confection de brochettes pour les barbecues. Elle est également utilisée par les pêcheurs pour la confection des nasses169. Lorsqu’elles sont sèches, les palmes sont utilisées comme combustible, la partie supérieure, qui brûle rapidement, est utilisée pour faire partir le feu et la partie proche du tronc comme bois de combustion. Les palmes entières servent également à construire des enclos pour les animaux (z'riba) et des huttes qui servaient autrefois d’habitation pour les plus pauvres ou comme abris pour les cuisines externes54, les toilettes voir des khoss où les habitants se réunissaient170. Elles servent à présent pour construire des parasols sur les plages. Le tronc du palmier coupé en deux dans le sens de la longueur (sannour) sert pour la charpente du menzel et constituent la plupart des poutres des anciennes habitations ou ateliers de tissage56,51. Le tronc sert aussi pour certains instruments des vieux pressoirs à huile. Les régimes (qui portent les dattes), une fois débarrassés des fruits, sont utilisés comme balais pour les cours sablonneuses et les alentours du menzel. Ils sont également utilisés par les pêcheurs pour confectionner des cordages et enfiler le poisson vendu à la criée. Le cœur de palmier, appelé jammar, constitue un entremet et la sève (legmi) est bue fraîche le matin ou fermentée, comme vin de palme. Les dattes, dont l’île produit plusieurs variétés, sont consommées aussi bien fraîches que séchées. On en fait également des confitures, on les farcit de pâte d’amande et on les utilise pour farcir des gâteaux comme le makroud. Elles constituaient un élément fondamental dans le régime alimentaire des Djerbiens. Les habitants de confession juive les utilisent également pour la fabrication d’un alcool appelé boukha (qui se fait aussi à partir de figues)171. Les noyaux des dattes étaient concassés et utilisés dans l’alimentation des chameaux, ce qui justifie certainement le nom donné par les Berbères locaux au palmier : taghalett qui signifie « la précieuse »172.

La place qu’occupe l’olivier, connu à Djerba depuis des millénaires173, n’est pas moindre et des rites (berboura) sont encore célébrés autour de l’olivier aussi bien pendant les cérémonies de mariage que de circoncision144. Par ailleurs, lorsque les Djerbiens visitent les zaouïas, ils font souvent des offrandes d’huile d’olive. Tout comme pour le palmier, les Djerbiens font un usage multiple de toutes les parties de l’olivier : les fruits sont utilisés pour l’extraction de l’huile utilisée dans l’alimentation, la cosmétique (en particulier pour le soin des cheveux) ainsi que dans la pharmacologie traditionnelle. L’huile était aussi utilisée pour l’illumination (mosbah ou lampes à huile), pour allumer le feu (f'tilat zit ou mèche) et les huiles usagées ainsi que les déchets d’huile servaient pour la confection de savon artisanal174.


Les olives sont aussi conservées — plusieurs procédés sont utilisés dont le séchage, la salaison et la saumure — pour usage alimentaire et les noyaux broyés et utilisés dans l’alimentation du bétail ainsi d’ailleurs que les restes des olives pressées. Les feuilles de l’olivier (ainsi que celles des autres arbres fruitiers) sont séchées et servent pour l’alimentation du bétail49, en particulier les chèvres et les moutons49. Les humains en font un usage médicinal (notamment des tisanes contre le diabète). Les branchages secs sont utilisés comme combustible et les troncs pour la confection d’objets en bois d’olivier.

L’orge constituait l’aliment de base des Djerbiens sous diverses formes : zammita (poudre d’orge aromatisée), malthoutha (couscous d’orge), kesra (galettes d’orge), bazine (pouding d’orge), h'sou (soupe de farine d’orge), d’chicha, pain, crêpes et gâteaux d’orge sont consommés sur l’île depuis des millénaires. La paille est utilisée pour l’alimentation du bétail qui peut avoir exceptionnellement droit à de l’orge (par exemple pour engraisser le mouton de l’Aïd al-Adha). Le grenadier est un autre arbre familier aux Djerbiens qui utilisent son fruit en totalité, écorce comprise, celle-ci servant au tannage des peaux. Les feuilles servaient pour l’alimentation du bétail et les branchages secs comme combustible.

Les Djerbiens ne jetaient presque rien : les épluchures de figues de Barbarie, de melons, de pastèques, de courges ainsi que les épluchures des légumes et leurs feuilles (carottes ou radis) étaient coupés en petits morceaux et utilisés pour l’alimentation du bétail. Les pépins non consommés par les humains — les Djerbiens sont friands de pépins de courge et de tournesol — sont donnés aux animaux. Les roses, certains géraniums (atr'cha) et les fleurs d’oranger sont distillés et utilisés dans la cuisine, surtout dans les desserts, la cosmétique ou la pharmacologie traditionnelle. Les écorces d’oranges sont quant à elles séchées, pilées et utilisées pour aromatiser café et gâteaux. Ainsi, les Djerbiens opéraient-ils un recyclage systématique des restes ménagers, les quelques déchets non utilisables étant déposés dans une grosse fosse creusée à l’extrémité du champ ou verger et couverte de sable une fois remplie. Pour l’alimentation de leurs animaux, les Djerbiens ramassaient l’herbe du printemps, la conservaient pour la saison sèche49 et broyaient et traitaient tous les restes alimentaires difficiles à consommer tels quels. Tous les branchages secs, voire les crottes de chameaux, étaient ramassés systématiquement, conservés et utilisés comme combustible. Les restes de linge et habits usés étaient coupés dans le sens de la longueur et utilisés pour la fabrication de nattes (klim ch'laleg). Les écorces d’amandes servaient pour la fabrication d’une teinture traditionnelle pour cheveux (mardouma). Les restes de papiers (journaux, vieux cahiers, etc.) étaient vendus au poids. La vaisselle se faisait avec l’eau du puits (en général saumâtre) et du sable, de l’argile ou une herbe grasse qui pousse spontanément, appelée gassoul. Le cuivre était nettoyé avec de la cendre et la peau de citrons pressés. L’eau de vaisselle servait pour arroser le grenadier ou autres plantes supportant l’eau saumâtre. Le kaolin et l’argile verte (disponibles à Guellala) étaient utilisés en cosmétique (bain de cheveux et masques pour visage et corps). D’autres produits naturels étaient utilisés en cosmétique comme le fenugrec, le miel, la farine de pois chiche, le blanc et le jaune d’œuf, l’huile d’amande, etc.

Jusqu’aux années 1970, il est interdit d’introduire des bouteilles en plastique sur l’île et l’usage des sachets en plastique était rare, les Djerbiens allant au marché avec leurs couffins s’ils y allaient à pied et leur zembil s’ils y allaient à dos d’âne ou de mulet. Avec le tourisme, les bouteilles en plastique sont autorisées, l’usage des sachets et emballages en plastique est généralisé, sans parler des boites de conserve en métal ou en plastique ; il est devenu commun de voir les bords de route jonchés de ce genre de déchets et ce même en pleine campagne. La structure même de l’habitat est en train de changer : on assiste à la transformation de Midoun en vraie ville et la naissance d’autres agglomérations comme Ouled Amor qui comptait à peine quelques maisons jusqu’aux années 1980 et Sidi Zaid où il n’y avait pratiquement pas de constructions hormis la zaouïa. Des habitations et des locaux de commerce ont commencé à pousser comme des champignons le long des côtes qui n’étaient peuplées que de palmiers, cactus, agaves, aloès et figuiers de Barbarie. La population s’est beaucoup mélangée, l’habillement, le langage et les mœurs sont en train de changer.

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