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mardi 8 février 2011

Religion a Djerba

 C’est l’islam sunnite de rite malékite qui prédomine en Tunisie, bien qu’il existe une petite communauté pratiquant le rite sunnite hanéfite qui était suivi par la cour beylicale et certaines familles d’ascendance ottomane103. Tel n’est guère le cas à Djerba où une grande partie de la population pratique un rite kharijite non sunnite, schisme comparable au jansénisme. Les kharijites refusent aux hommes, même au calife, le droit d’interpréter les textes sacrés et préconisent un strict respect des textes, une vie sobre et une égalité parfaite entre tous les musulmans22 :
« Le kharijisme a subsisté dans deux communautés berbères au Mzab en Algérie et à Djerba, ils ne sont jamais entrés en lutte ouverte avec les orthodoxes qui les entourent104. »
 En fait, il existait à Djerba deux rites kharidjites : le rite ibadite, apparu en 654 et prêché par Abdullah ibn-Ibad at-Tamimi, présentant des analogies avec le rite hanéfite, et le rite dit wahhabite, un rite attribué à un musulman d’origine persane de la tribu des Beni Rostom, Ibn Rustom, et fondé vers 782. Cependant, ceux-ci sont aujourd’hui confondus, surtout que la plus grande partie des ibadites (appelés Nakkaras) s’est convertie au malékisme105. Il existe quelques différences dans le rituel de la prière entre ibadites et malékites106, ces derniers appelant les premiers ouheb ou kwames en référence aux quatre rites musulmans sunnites orthodoxes.

Les ibadites ayant résisté au pouvoir central du bey tenaient à affirmer leur autonomie en formant des alliances avec les ibadites de Tripolitaine et du sud de l’Algérie (Ghardaïa). Fréquemment, ils résistaient au paiement des impôts et se soulevaient. Ainsi, l’introduction du rite malékite sunnite sur l’île a été encouragée par le pouvoir à Tunis, d’abord dans la localité de Houmt Souk, au travers des érudits et des théologiens venant de l’extérieur de l’île comme Sidi Bouakkazine, Sidi Aloulou, Sidi Brahim El Jemni ou Sidi Abou Baker Ezzitouni92. Ceci pourrait expliquer l’existence d’un certain antagonisme entre habitants ibadites d’origine berbère et habitants de rite malékite107. À quelques kilomètres de Sedouikech, en direction d’El Kantara, se trouve l’une des mosquées souterraines de l’île, Jemaâ Louta (mosquée qui daterait du XIIe ou du XIIIe siècle)108, où les ibadites se réfugiaient pour pratiquer leur culte. Entourée d’une oliveraie, on y accède par un escalier très raide et étroit qui conduit dans la chambre principale. À côté de cette mosquée se trouve un grand réservoir qui alimente un puits également souterrain. Une autre de ces mosquées souterraines se trouve sur la route d’Ajim. Comme elles ne sont plus utilisées pour le culte, ces mosquées souterraines peuvent être visitées librement.
Les mosquées ibadites ont une architecture particulière106 et il n’est possible d’accéder au minaret qu’en passant par la salle de prière. Par ailleurs, plusieurs mosquées et zaouïas (Djerba en compte plus de 300) ont été construites le long des côtes de l’île comme Sidi Zaied, Sidi Smael, Sidi Mahrez, Sidi Yati, Lalla Hadhria, Sidi Garous, Sidi Jmour109, etc. Elles servaient de garde-côtes et permettaient de signaler l’arrivée d’amis ou d’ennemis, dont des pirates et corsaires, par un système de fumées destiné aux habitants de l’île qui allaient s’abriter du danger éventuel. Certaines mosquées étaient construites comme des petites forteresses (comme Jemaâ Fadhloun) et disposaient d’un four et de citernes d’eau, ce qui permettaient de résister quelque temps aux attaquants. Jemaâ El May, classée comme monument historique, est l’une des mosquées les mieux fortifiées de l’île110. En évoquant les mosquées de Djerba, Salah-Eddine Tlatli a dit que « les mosquées les plus modestes ont la candeur naïve et le charme d’un château de sable sorti d’un rêve d’enfant »110.

L’île abrite également une petite communauté juive qui comptait autrefois plusieurs dizaines de milliers d’individus spécialisés en majorité dans des métiers artisanaux (bijouterie, cordonnerie, couture, etc.) mais pratiquant également le commerce. Elle y vit depuis des siècles en bonne entente avec la majorité musulmane malgré le déclin démographique engendré par l’émigration vers Israël dès 1948 et vers la France après 1956 (date de l’indépendance de la Tunisie), 1961 (crise de Bizerte) et 1967. La synagogue de la Ghriba, située dans le village d’Er Riadh (Hara Sghira situé à neuf kilomètres au sud de Houmt Souk), est très ancienne et très célèbre. D’après les rabbins locaux, même s’il existe d’autres versions, « les Juifs arrivés sur l’île auraient apporté avec eux certains manuscrits des Tables de la Loi qu’ils auraient sauvé des ruines du Temple de Jérusalem détruit par Nabuchodonosor et même certaines pierres du Temple sur lesquelles ils auraient bâti le sanctuaire »111. Cette synagogue attire tous les ans, trois semaines après la Pâque juive, des pèlerins de partout mais surtout d’Europe et d’Afrique du Nord qui « transportent en procession sur leurs épaules, hors de la synagogue, les Tables de la Loi, sous un lourd baldaquin multicolore qu’ils promènent »111 aux alentours. Plusieurs autres petites synagogues se trouvent à la Hara Kbira, principal quartier juif de l’île situé à Houmt Souk.

Au début du XXe siècle, Djerba comptait, parmi une population d’environ 40 000 personnes, plusieurs centaines de catholiques français, italiens, grecs et maltais112. Ces derniers gagnaient leur vie, entre autres, comme artisans ou pêcheurs de poisson et d’éponges. L’église de culte catholique Saint-Joseph de Djerba, de style maltais, a été fondée en plein centre de Houmt Souk en 1848 ou 1849, par un prêtre de la mission Saint-Vincent de Paul aidé par l’évêque Gaetano Maria de Ferrare113 ; elle a été rouverte officiellement au culte et consacrée le 19 mars 2006. Il existe également une église grecque orthodoxe fondée vers 1890, dédiée à saint Nicolas, patron des pêcheurs, et située à proximité du port de Houmt Souk. Cette église fut construite à l’époque où une communauté grecque s’installa sur l’île ; elle était constituée principalement d’artisans et de pêcheurs, en particulier de pêcheurs d’éponges.

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