Les habitants de Djerba, les Djerbiens, sont en 2004 au nombre de 139 5171, répartis sur trois délégations qui correspondent à trois municipalités aux fonctions très différentes8 :
Djerba-Houmt Souk, la ville de Houmt Souk étant considérée comme la « capitale » de l’île avec 44 555 habitants (64 892 habitants pour l’ensemble de la municipalité) ;
Djerba-Midoun, la ville de Midoun qui constitue le centre le plus proche des activités touristiques compte 30 481 habitants (50 459 pour l’ensemble de la municipalité) ;
Djerba-Ajim, la ville d’Ajim, plus en retrait par rapport à la dynamique insulaire, compte 13 950 habitants (24 166 habitants pour l’ensemble de la municipalité).
Les habitants de l’île sont principalement arabophones même s’il s’y trouve une importante population berbérophone (Kutamas, Nefzas, Hawwaras, etc.). La plus grande partie de l’île est occupée par des villages d’origine berbère comme Mezraya, Ghizen, Tezdaine, Wersighen, Sedouikech, Ajim et Guellala où se parlait le tamazight, appelé également chelha, langue aux consonances explosives où la lettre « t » revient presque à chaque mot78. La tradition berbérophone est maintenue surtout par les femmes3,79. Il existe par ailleurs une petite et très ancienne communauté juive « pétrifiée dans les traditions hébraïques les plus anciennes »80 et qui descendrait des exilés de Jérusalem. Elle a vécu en vase clos pendant des millénaires80.
Une communauté d’origine arabe se serait installée à Djerba lors de l’invasion des Hilaliens. La population arabophone de l’île compte aussi une importante composante noire musulmane, d’origine principalement soudanaise, installée surtout à Arkou, non loin de Midoun81. Une communauté originaire du sud de la Tunisie (région de Beni Khedache) vit dans son propre quartier à Houmt Souk, Houmet Ejjoumaâ ou Chouarikh, et s’habille différemment des autres Djerbiens (en particulier les femmes)82. Dans son livre intitulé Djerba. L’île des Lotophages, Salah-Eddine Tlatli dresse le tableau d’une cohabitation paisible entre des communautés cloisonnées :
« Ainsi, dans cette île-carrefour, les populations berbères, judéo-berbères, arabes, africaines islamisées, nègres, quelques Turcs et même de vieux pêcheurs maltais se sont donnés rendez-vous et ont vécu en bons termes mais sans se mélanger. La barrière religieuse, malgré la proximité des races, a constitué un obstacle quasi-infranchissable et les mariages, par leur caractère endogamique, ont permis de maintenir une certaine homogénéité ethnique83. »
Charles-André Julien, reprenant la classification de la population de la Berbérie orientale par Bertholon et Chantre, parle du type de Djerba comme de « petite taille, brachycéphale, mesorhinien, à cheveux bruns, yeux foncés, peau bistre en pigment jaunâtre »84. Quant à Salah-Eddine Tlatli85, il dépeint les « caractères ethniques » des Djerbiens « qui définissent un type humain à part en Afrique du Nord [...] La forme de leur crâne et leur taille : un crâne globuleux, massif, laissant à découvert un front bombé, limité par d’épais sourcils et des bosses pariétales accusées [...] Le corps est assez petit, trapu, musclé, avec de larges épaules [...] contraste avec les populations voisines. Les israélites ont des crânes plus allongés d’où la conclusion qu’il ne s’agit pas de Djerbiens judaïsés »86. Dans le même sens, des études menées sur la population de l’île concluent que le patrimoine génétique paternel des Juifs de Djerba est différent de celui de leurs voisins arabes et berbères87,88.
La population nombreuse et l’insuffisance des ressources locales, à l’origine de crises liées le plus souvent à de mauvaises récoltes, ont contribué à la mise en place d’un processus migratoire saisonnier et temporaire mais devenu petit à petit structurel et définitif46. La grande majorité des Djerbiens quittant leur île travaillent dans le commerce en raison de la position stratégique de leur lieu d’origine. Même si la grande majorité d’entre eux restent dans un premier temps en Tunisie, où ils détiennent une position dominante dans le commerce alimentaire et de détail46, les réformes du ministre Ahmed Ben Salah menées dans les années 1960, qui regroupèrent le commerce de détail en coopératives, poussent les Djerbiens à émigrer majoritairement en Europe et plus spécifiquement dans l’agglomération parisienne46,42. L’argent rapatrié par les Djerbiens vivant à l’étranger joue un rôle important dans l’économie de l’île42. La migration des Tunisiens du continent (majoritairement originaires des gouvernorats du sud et du centre-ouest du pays) sur l’île s’est progressivement accrue et ces derniers représentent désormais près de 45 % des habitants et 60 % des actifs46. Dans ce contexte, ils concurrencent progressivement les Djerbiens sur leur marché de l’emploi.
Compte tenu de l’espace limité, des maigres ressources de l’île et de la rigueur du rite ibadite, la tradition populaire veut que le Djerbien soit généralement connu comme un travailleur discipliné, rigoureux, parcimonieux51 et bon gestionnaire, de caractère plutôt réservé, calme et poli. Dans les familles ibadites, le fils même adulte ne fumait pas devant ses parents et la grand-mère gérait la famille d’une main de fer, ses fils, belles-filles et petits enfants lui devant obéissance. Frères et associés allaient faire du commerce à l’extérieur de l’île à tour de rôle89 afin que quelques hommes adultes restent travailler la terre avec les femmes, enfants et hommes âgés90.
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